25.10.11

robert motherwell: black, red, orange . . .


 " motherwell: black , red, orange . . .  "
Lettre de Robert Motherwell adressée à Marcelin Pleynet le 26 février 1991 

Le 26 février 1991.
Cher Ami,
Il est bon d'avoir de vos nouvelles, surtout que l'hiver est un moment bien triste de l'année. C'est lors de l'année que j'ai passée à Paris, en 1938-1939, que j'ai vraiment compris ce que signifie la célèbre chansonAvril à Paris. Tout m'avait semblé gris d'octobre à avril, et plutôt triste. (Mais peut-être était-ce parce que la vie que j'y menais était alors plutôt solitaire). Le temps n'a guère été bon ici non plus cet hiver. mais comme je ne sors que rarement de mon atelier, cela ne me gêne pas beaucoup. En fait je peins beaucoup.
Pour ce qui concerne vos questions à propos des Elegy to the Spanish Republic, oui, j'ai en effet lu Death in the Afternoon d'Hemingway. Je ne me souviens pas de l'année exacte, mais c'était certainement dans les années trente. Ce qui a le plus compté pour moi à propos des corridas. ce sont mes trois voyages au Mexique en 1941, 1942 et 1943. J'ai alors assisté à de nombreuses corridas et j'ai même réalisé une série de peintures plus explicitement liées au combat avec les taureaux. Il s'agit de la série intitulée Iberia. Une de ces peintures est toujours accrochée dans mon living-roorn ici. (Je les ai réalisées à Saint-Jean-de-Luz pendant l'été 1960, après avoir vu plusieurs magnifiques corridas près de là. Je ne me rappelle pas exactement le nom de la ville en question : peut-être était-ce juste de l'autre côté de la frontière espagnole, à Saint-Sébastien. C'étaient en tout cas de vraies corridas, avec mise à mort du taureau. Ce dont je me souviens distinctement, c'est du noir des taureaux et de l'ocre jaune du sable dans l'arène.
Oui, j'étais à New York et j'ai visité l'exposition de Picasso sur Guernica.
Je joins à cette lettre mon essai de 1944 intitulé The Modern Painter's World. Il a d'abord été présenté sous forme de conférence lors d'un séjour de deux semaines au Mount Holyoke College. à South Hadley dans le Massachusetts. à l'occasion d'un séminaire intitulé Pontigny-en-Amérique. (II me semble que les séminaires de Pontigny ont réuni chaque été pendant plusieurs années des collaborateurs de la N.R.F. dans le monastère de Pontigny en France). Dans la forme qu'ont prise ces séminaires au Mount Holyoke, la plupart des participants étaient aussi des Français; je me souviens tout spécialement d'André Masson et de Jean Wahl, le professeur de philosophie à la Sorbonne. À cette époque j'entretenais des liens amicaux avec Wolfgang Paalen, que j'avais beaucoup fréquenté au Mexique, et j'ai apporté ma contribution à sa revue d'art, qui s'appelait Dyn, en lui donnant The Modern Painter's World. Lorsque je considère cet essai aujourd'hui, en 1991, je le trouve présomptueux, porté par l'arrogance de la jeunesse. Il s'y trouve bien des choses avec lesquelles je ne suis plus d'accord. notamment la critique de Guernica, qui me paraît maintenant de manière indubitable un des chefs-d'œuvre majeurs de l'art du vingtième siècle. (Les numéros successifs de Dyn ont été publiés à Mexico.)
Rien ne pourrait me faire plus plaisir que la publication d'un livre qui comprendrait votre essai pour Artcurial, votre extraordinaire texte sur Riverrun*, et, je présume, tout ce que vous pourriez avoir à dire sur les Élegie. Vraiment, votre engagement en faveur de mon œuvre est un des grands bonheurs de mon âge avancé, j'en suis très touché et vous en serai toujours reconnaissant.
(J'aime votre citation du M. Teste de Valéry. C'est là un livre qui m'a toujours enchanté.)
With warm greetings for your health, work and good spirits.
As ever yours, Robert M.
*Paru dans les Cahiers de psychologie de l'art et de la culture, n°17, 1991 (publication de l'École nationale supérieure des beaux-arts) et dans Interprenting Contemporary Art, Londres, Reaktion Books, 1991.

Cf. Marcelin Pleynet, "Robert Motherwell : Elégie à la République espagnole ou de l'art comme tauromachie", Revue d'esthétique, n°27, 1995. 

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